« le jardin des Capverdiens »
Mai 2018. A travers la fenêtre du RER D, un lieu attire mon attention : un terrain vague, un coin de verdure cerné par des barres d’immeubles, des cabanes en bois qui tombent en ruine, et des gens paumés là, en train de semer des graines dans la terre, ou de la bêcher, mais tous paumés, un peu comme moi. Quelques minutes plus tard, j’intègre le décor dans la végétation hirsute. Ils ont tous les âges, tous les styles et toutes les langues ces gens, des mamies aux dos voûtés aux jeunes en jogging qui jardinent juste à côté. Ici ça parle, ça chante, ça rit. Et ça fait cinq ans que j’y revis.
Ici, c’est Sarcelles, au bout du boulevard Allende, 15 hectares de terres malades d’un pont en béton et des voies ferrées qui les encerclent, mais que les gens guérissent à force d’y partager. Ce sont les franciliens originaires du Cap-Vert qui, les premiers, ont ici cultivé. C’est là que leur diaspora se rassemble, pour se détendre et subsister. Mais d’autres les ont rejoint et ça fait un joli mélange.
Pourquoi c’est là que tous ces gens se retrouvent et se comprennent ? Il faut que je sache, c’est un pouls à prendre. Pour ça, la photo ne se suffit pas à elle-même. Il faut parler, beaucoup parler, avant de tenter quelques clichés. Et écrire aussi. Je crois qu’ici, les capverdiens recréent un peu de leur île et les autres, grâce à eux, y vivent un peu. Aux alentours, c’est vrai que ça donne envie de s’évader. Aux alentours, c’est le béton, et y’a peu de place pour le vivant, qu’il y pousse ou qu’il y naisse. Alors si on peut redonner un peu de sens à tout ça, on s’en prive pas.
Et ça pourrait bien durer encore longtemps. La Métropole s’agrandit, l’autorité réglemente et exproprie, mais pas ce jardin qui survit dans le gris. Implanté en zone inondable qu’ils ont dit ! Vraiment ce jardin a tout pour lui : des hommes, des femmes, des plantes et des bêtes qui vivent ensemble dans la tempête, et moi qui me dis : faut que je documente, ce serait trop bête, ces botanistes sans formation, ces petits oiseaux qui piaillent partout, ces végétaux qui sont de trop pour une ville qui mange trop. Oui, faut que je documente ce p’tit bout de vert, faut que j’en saisisse les éclosions, les fléchissements, et les bruissements, tous les petits gestes qui le font grand, du matin au soleil couchant.
texte de Thomas Lachkar







« le jardin des Capverdiens »
Mai 2018. A travers la fenêtre du RER D, un lieu attire mon attention : un terrain vague, un coin de verdure cerné par des barres d’immeubles, des cabanes en bois qui tombent en ruine, et des gens paumés là, en train de semer des graines dans la terre, ou de la bêcher, mais tous paumés, un peu comme moi. Quelques minutes plus tard, j’intègre le décor dans la végétation hirsute. Ils ont tous les âges, tous les styles et toutes les langues ces gens, des mamies aux dos voûtés aux jeunes en jogging qui jardinent juste à côté. Ici ça parle, ça chante, ça rit. Et ça fait cinq ans que j’y revis.
Ici, c’est Sarcelles, au bout du boulevard Allende, 15 hectares de terres malades d’un pont en béton et des voies ferrées qui les encerclent, mais que les gens guérissent à force d’y partager. Ce sont les franciliens originaires du Cap-Vert qui, les premiers, ont ici cultivé. C’est là que leur diaspora se rassemble, pour se détendre et subsister. Mais d’autres les ont rejoint et ça fait un joli mélange.
Pourquoi c’est là que tous ces gens se retrouvent et se comprennent ? Il faut que je sache, c’est un pouls à prendre. Pour ça, la photo ne se suffit pas à elle-même. Il faut parler, beaucoup parler, avant de tenter quelques clichés. Et écrire aussi. Je crois qu’ici, les capverdiens recréent un peu de leur île et les autres, grâce à eux, y vivent un peu. Aux alentours, c’est vrai que ça donne envie de s’évader. Aux alentours, c’est le béton, et y’a peu de place pour le vivant, qu’il y pousse ou qu’il y naisse. Alors si on peut redonner un peu de sens à tout ça, on s’en prive pas.
Et ça pourrait bien durer encore longtemps. La Métropole s’agrandit, l’autorité réglemente et exproprie, mais pas ce jardin qui survit dans le gris. Implanté en zone inondable qu’ils ont dit ! Vraiment ce jardin a tout pour lui : des hommes, des femmes, des plantes et des bêtes qui vivent ensemble dans la tempête, et moi qui me dis : faut que je documente, ce serait trop bête, ces botanistes sans formation, ces petits oiseaux qui piaillent partout, ces végétaux qui sont de trop pour une ville qui mange trop. Oui, faut que je documente ce p’tit bout de vert, faut que j’en saisisse les éclosions, les fléchissements, et les bruissements, tous les petits gestes qui le font grand, du matin au soleil couchant.
texte de Thomas Lachkar

Sarcelles, France, août 2021

Herminnata, Sarcelles, France, août 2018

2018

février 2023

août 2023

le Jardin des Capverdiens, Sarcelles, France, hiver 2021

le Jardin des Capverdiens, Sarcelles, France, hiver 2021